S’il y a bien un cadeau que je n’imaginais pas vivre un jour, c’est cette expérience ! Et pourtant, le mois dernier, j’ai en effet fait un vol en avion de chasse. Ca s’est passé à Abbeville, et s’est révélée particulièrement violente ! Pourtant, ça a commencé assez simplement. Ce jour-là, je suis allé à l’aéroport, j’ai rencontré Bastien, le pilote, qui m’a fait un briefing sur les consignes de sécurité. Puis je suis ensuite rendu aux vestiaires pour mettre ma combinaison de vol avant de aller sur le tarmac où m’attendait un appareil au design étrange, un Fouga. L’avion ne correspondait pas à l’image qu’on peut se faire d’un avion de chasse, mais a été l’appareil de la Patrouille de France pendant près de 20 ans : autant dire qu’il envoyait du lourd, niveau sensations ! Je me suis hissé dans le cockpit, et quelques minutes plus tard, on était parés au décollage. C’est difficile de décrire ce qu’on éprouve lorsque je me suis retrouvé face à la piste, prêt à décoller. C’est un mélange de peur et de l’enivrement résolument unique. Un peu ce qu’on peut ressentir lorsqu’on est enfant et qu’on se retrouve sur le grand plongeoir de la piscine. On a envie de faire demi-tour, sauf que tout le monde vous regarde. On se met soudain à regretter de s’être laissé embarquer là-dedans. Pourtant, les premières minutes, il n’y a pas de quoi en faire des histoires. C’en était presque décevant, d’ailleurs. Je n’ai pas ressenti l’accélération au décollage, et les premières minutes ont consisté en un simple vol de découverte, plutôt tranquille à mon goût. Mais ce n’était que le temps de prendre mes repères. Parce que quand a entamé la voltige aérienne, j’en ai pris pour mon grade. Dès la première vrille, j’ai compris que ça allait être énorme. Les acrobaties se sont enchaînées sans relâche. La voltige n’a pas duré longtemps, mais lorsqu’on a pris le chemin du retour, on aurait dit que j’avais couru des heures sous le cagnard. Et vous savez ce qu’il y a de pire ? C’est que j’ai adoré ce vol ! Si j’en avais l’occasion, je recommencerais sans hésiter un seul instant. Je mets le lien vers mon vol en Fouga Magister.
À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre. À l’époque contemporaine, il est frappant de constater que la guerre de l’information apparaît dès l’émergence de l’opinion publique comme force politique, avec les mensonges de la propagande de Frédéric II pendant la guerre de sept ans, qui rencontrent un large écho dans une société française affectée d’une humeur frondeuse [2]. Plus près de nous, en 1939, l’incident de Gleiwitz, au cours duquel un commando de SS déguisés en insurgés polonais prit le contrôle d’une tour de radiodiffusion allemande, servit de prétexte à Hitler pour déclencher la Seconde Guerre mondiale en Europe. Et il est à craindre, ce qui n’est pas à l’honneur d’une grande démocratie comme les États-Unis, que les clichés présentés à l’ONU par Colin Powell pour démontrer l’existence d’armes de destruction massive en Irak et justifier la « guerre de choix » de George W. Bush ne relèvent de la même catégorie d’acte hostile. Comme on le voit, du point de vue des techniques de combat, rien de nouveau sous le soleil. En fait, l’impression communément ressentie du franchissement d’un seuil en matière de guerre de l’information lors de la guerre russo-ukrainienne s’explique par au moins deux facteurs : d’abord, par l’exceptionnelle ampleur de la caisse de résonance fournie par Internet et par les réseaux sociaux, dont l’expansion à grande échelle est récente ; ensuite, comme nous allons le montrer maintenant, par la résurgence d’une tradition spécifiquement russe de désinformation, indissociable de la place de l’État dans la société. Comme nous l’avons mentionné en introduction, l’un des éléments les plus caractéristiques de la filiation entre l’Empire et l’URSS est le développement de l’État policier : il semble bien [3] que Pierre le Grand, au début du XVIIIe siècle, soit à l’origine du premier organe connu de police politique au sens moderne du terme, dans un contexte où surveillance mutuelle et dénonciation institutionnelles sont déjà de règle depuis longtemps. Une autre caractéristique originale de l’État russe est sa tradition du secret ; de fait, il reste aujourd’hui difficile de déterminer la date exacte de la création de l’organe mentionné ci-dessus, dans la mesure où l’administration ne s’estimait pas tenue de publier ses décisions. La continuité entre cette tradition autoritaire et policière et le totalitarisme à venir est matérialisée par la reprise mutatis mutandis, dans les codes criminels soviétiques de 1927 et 1960, de certaines clauses de leur ancêtre de 1845 : celles-ci stigmatisent, de manière d’ailleurs bien vague, ceux qui se risquent à « affaiblir et saper l’État, jeter le doute et sur lui et lui témoigner de l’irrespect », avant de détailler les peines, déjà fort lourdes, dont ils se rendent ainsi passibles. C’est ce qui permet à Richard Pipes d’écrire [4] que « les chapitres 3 et 4 du code criminel russe de 1845 sont au totalitarisme ce que la Grande charte [5] est à la liberté ». Le tournant du XXème siècle, avant même la révolution, est l’occasion d’assister à une expérience pré-totalitaire peu banale, qui nous ramène insensiblement vers notre sujet : avec Sergueï Zoubatov, chef de la section spéciale de l’Okhrana [6] entre 1902 et 1904, on sort en effet du cadre strictement défensif de l’État policier pour passer à des formes beaucoup plus sophistiquées de contrôle social. La création de toutes pièces de syndicats infiltrés par la police permet de capter les ouvriers plus préoccupés par les revendications sociales que par la révolution, et de faire pièce aux mouvements révolutionnaires. L’expérience de Zoubatov finit par être victime de son succès, du fait des entrepreneurs mécontents du soutien apporté par la police à ce mouvement syndical unique en son genre. On est effectivement sur le chemin du totalitarisme, dans la mesure où il s’agit bien d’une première tentative de l’État pour mettre la vie sociale sous contrôle grâce à l’infiltration des services de sécurité [7], lesquels élaborent ici pour la première fois un attrape-nigaud qui ne restera pas sans postérité. Opacité soigneusement cultivée, absence de responsabilité vis-à-vis du corps social, emprise de la police politique : tout ceci existait déjà en germe sous l’Empire, mais on ne peut pourtant pas parler à son sujet d’État totalitaire. En effet, le pouvoir était alors limité par un système juridique, certes peu enraciné, qu’il avait bien fallu développer pour intégrer le pays aux échanges internationaux, ainsi que par le souci de sa réputation sur la scène diplomatique ; par ailleurs, la possibilité de voyager à l’étranger, largement utilisée, limitait d’une autre façon le contrôle étatique sur la société. [8] La révolution fait table rase de tout ceci, ce qui permet aux bolcheviks d’édifier un système cette fois-ci authentiquement totalitaire. La mise en place de celui-ci n’est pas immédiate (elle s’étale de 1917 à 1930 et comporte de nombreux épisodes, dont en particulier la mise au pas de la paysannerie) ; cependant, il est établi que la création d’une police politique hors d’atteinte du pouvoir judiciaire remonte aux premières heures du nouveau régime [9] (ce qui, au passage, suffit à renvoyer au rayon des contes de fées les tentatives de minimiser la responsabilité de Lénine dans la création du totalitarisme soviétique). C’est ce contexte qui explique la part si importante du théâtre d’ombres orchestré par les organes de sécurité dans l’histoire soviétique – une pratique à laquelle l’absence de réelle démocratisation après la chute de l’URSS a permis de perdurer jusqu’à nos jours comme nous le verrons bientôt. Comme il ne peut être ici question de contrôle parlementaire, d’indépendance de la justice ou de liberté de la presse, les services ont très tôt toute latitude pour manipuler les forces sociales et organiser les mises en scène rendues nécessaires par la poursuite des objectifs politiques ou diplomatiques du Kremlin. L’exemple le plus classique nous est fourni par les procès de Moscou (1937 – 1938), où d’authentiques bolchéviks sont sacrifiés sous le coup des inculpations les plus fantaisistes. L’opération permet de fournir une explication par le sabotage aux innombrables ratés d’une modernisation chaotique, de régler des conflits de pouvoir réels ou potentiels dans les hautes sphères du Kremlin, et de renforcer la fidélité à Staline de la génération montante des apparatchiks. La période soviétique fournit ainsi des précédents d’une ressemblance troublante avec certains des évènements survenus lors du conflit russo-ukrainien : l’invasion de la Crimée par les « petits hommes verts » illustre cette continuité de manière emblématique, puisqu’elle reproduit à l’identique la technique utilisée en 1924 à Stolpce, ville alors polonaise que des agents du NKVD infiltrés avaient attaquée, déguisés en paysans biélorusses [10]. Il faut aussi mentionner à ce titre la manière utilisée par l’URSS stalinienne pour mettre la main sur la Pologne à l’issue du second conflit mondial [11] : l’opération s’étale sur plusieurs années, le temps que la solidarité entre alliés contre le nazisme se dissolve dans la Guerre froide, et que les Occidentaux mettent un mouchoir sur leur engagement en faveur du gouvernement polonais en exil à Londres. Cependant, dès 1944, la prise de contrôle de la vie politique par la police secrète est à l’œuvre, le ministère de l’intérieur du nouveau régime, ainsi que celui de la défense, étant placés d’emblée sous le contrôle des Soviétiques et de leurs comparses locaux. Après élimination des opposants et prise de contrôle des organisations sociales, il ne reste plus à la Pologne, que rien ne prédestinait à être communiste si ce n’est sa position géographique au voisinage de la Russie, qu’à devenir pour cinquante ans une « démocratie populaire ». À l’ère où l’information transite massivement par les étranges lucarnes et les écrans d’ordinateur, l’un des premiers exemples marquants de manipulation par les organes de sécurité paraît bien être le rôle qu’ils ont joué dans l’accession de Vladimir Poutine à la magistrature suprême. Nous sommes en août 1999. Un Boris Eltsine bien fatigué achève son second mandat présidentiel ; il n’a pas le droit de se représenter, et nomme ledit Poutine – alors un parfait inconnu pour le public russe – au poste de Premier ministre. La popularité de celui-ci va avoir l’occasion de croître avec les hostilités résultant du raid islamiste qui a lieu au Daghestan [13] en août et septembre. Finalement, les auteurs de celui-ci arrivent sans encombre à rejoindre la Tchétchénie voisine, ce qui peut laisser suspecter une manœuvre du GRU [14] pour mieux désigner cette dernière comme cible d’une reconquête et relancer la guerre. Mais c’est surtout avec la vague d’attentats meurtriers qui frappe la Russie en septembre que le nouveau venu va pouvoir se faire un nom et une image d’homme fort dans l’opinion publique russe ; c’est à ce moment qu’il déclare, à propos des supposés terroristes tchétchènes : « on ira les buter jusque dans les chiottes ».