# Piketty en star américaine
La publication en anglais par Harvard university press du dernier livre de l’économiste Thomas Piketty fait événement. Revue de presse. Rareté des raretés dans le petit monde feutré de l’édition universitaire, la parution aux Etats-Unis du Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), le plus récent ouvrage de l’économiste français Thomas Piketty, a été avancée d’avril à mars, tant il était attendu. Capital in the Twenty-First Century (Harvard university press, 696 p., 35 euros) achève d’asseoir sa réputation dans le monde anglo-saxon. Déjà surnommé par certains le « inequality guru »,Thomas Piketty s’apprête à être adoubé par les économistes américains les plus éminents. Le 16 avril, il prononcera une conférence à la City university of New York, qui sera suivie par un commentaire livré par les économistes Paul Krugman, Joseph Stiglitz et Steven Durlauf (moins connu, ce dernier occupe une place d’influence depuis qu’il a co-dirigé la publication d’un dictionnaire The New Palgrave Dictionary of Economics (2008)). La conférence sera retransmise en direct sur Internet. La presse s’est déjà emparé de son livre et les éloges pleuvent. Le bihebdomadaire The American Prospect n’y voit rien de moins que le « Triomphe de Piketty ». Les critiques ne manquent pas non plus et portent notamment sur les propositions politiques avancées par l’auteur. Sans prétention d’exhaustivité, nous nous arrêtons ici sur les articles qui font le plus autorité et les points de débats qu’ils soulèvent.Capital Le célèbre économiste Paul Krugman vient de faire paraître un long article dans la New York Review of Books où il vante, sans retenue, les mérites du Capital au XXIe siècle. Thomas Piketty était déjà bien connu pour le travail statistique pionner mené avec Emmanuel Saez et Anthony Atkinson pour chiffrer les inégalités. Il passe maintenant à une nouvelle étape et son livre vient révolutionner notre manière d’aborder les disparités économiques en remettant les riches au centre du débat, souligne Paul Krugman. En annonçant l’avènement d’un « capitalisme patrimonial », ce livre « va changer la façon dont nous pensons notre société et l’économie ». Les conclusions sont en effet audacieuses. La redistribution des revenus irait désormais des salariés vers les détenteurs du capital, une tendance qui devrait s’accélérer, si rien n’est fait. La croissance (g) devrait en effet rester amorphe alors que le capital (r) se montrera plus performant, comme il a eu tendance à le faire historiquement. Une formule résume cette réalité. La synthèse qu’il opère force l’admiration, estime Paul Krugman. Cependant, « un tour de passe-passe fait sans duperie, ni malhonnêteté » entache « légèrement » la réussite de l’économiste français. La puissance du 1% des Américains les plus riches a cru pour des raisons que Thomas Piketty ne peut pas expliquer avec les outils développés. Les très hauts salaires sont après tout d’une « radicale nouveauté ». Bien que Paul Krugman y voit un manque de rigueur, il refuse de se montrer trop dur, tant il reste convaincu de la qualité, voire de l' »élégance » de ce livre. James Kenneth Galbraith, économiste keynésien, se montre lui franchement critique dans un article paru dans la revue Dissent. Ses propres travaux sur les inégalités, s’appuyant sur des données historiques et récentes, l’amènent à contester les prétentions de Thomas Piketty d’être « l’unique héritier de Simon Kuznets, le grand penseur des inégalités du milieu du siècle dernier » et que seule l’étude des registres fiscaux permet d’apprécier ce phénomène. « Ce qui est faux, martèle James Kenneth Galbraith. En vingt ans de recherche, l’auteur de ces lignes s’est intéressé aux registres des salaires pour mesurer l’évolution des inégalités. Un article publié en 1999 avec Thomas Ferguson arrive aux mêmes conclusions que Thomas Piketty. » Il lui reproche surtout de ne pas bien définir le terme de capital. Le professeur à l’Ecole d’économie de Paris ne distinguerait pas les revenus du capital productif et ceux générés par des actifs financiers. James Kenneth Galbraith estime en effet que l’ennemi, c’est la finance, et ne voit pas comment on peut développer une théorie de la croissance, le projet de Thomas Piketty, à partir de données qui n’ont rien à voir avec le capital productif, nécessaires pour faire tourner la machine.